Molière en quatrième vitesse : Réaliser un précipité de théâtre du Tartuffe et de Dom Juan
L’art théâtral en France est issu d’une longue lignée d’auteurs, d’artistes, d’hommes de théâtre, de metteurs en scène qui ont eu à se définir par rapport au pouvoir en place, bien souvent dans une tension créatrice. Parmi eux, Molière est celui qui a le plus durablement impacté ce lien de l’artiste au pouvoir, sans doute parce qu’il a vécu aux côtés du plus puissant d’entre les puissants, le roi Louis XIV. Mais pas seulement : il a aussi hérité d’une société qui commençait à voir apparaître une nouvelle caste, les bourgeois, ces marchands et artisans prospères qui allaient devenir les prescripteurs de tous les siècles à venir. Ainsi l’affrontement de l’artiste au pouvoir se double-t-il de la collusion de l’aristocrate au bourgeois. Et dans ce Grand Siècle où la royauté n’a jamais été aussi absolue, les signes d’une future Révolution se déposent pas à pas, triplant donc ce jeu de dupes d’une autre révolte, celle du valet de chambre sur son seigneur noble. Chez Molière, le rapport de domination est une constante, et le fondement même de son théâtre.
En explorant Le Tartuffe et Dom Juan, nous nous proposons de traverser toutes les scènes où il existe un rapport maître / valet. Tartuffe et Orgon, Damis et Orgon, Dorine et Tartuffe, Elmire et Orgon, Sganarelle et Dom Juan, Dom Juan et Charlotte… Et du moment que le premier rapport a été établi, la comédie le retourne : l’esclave devient le maître de son maître, dans un étourdissant jeu de miroirs. Tartuffe n’est-il pas le dupe d’Orgon ? Et Dom Juan la marionnette de Sganarelle ?
Afin de mener ce travail d’exploration du répertoire de Molière, nous adopterons un style de jeu qui se voudra efficace et puissant, inspiré des conditions de création du Nouveau Théâtre Populaire, qui a fait de l’urgence la condition de sa liberté. Rapidité et engagement : pour retrouver la force brute du vers du Tartuffe et de la prose de Dom Juan, nous emploierons les moyens d’un théâtre pauvre centré sur l’acteur. Le corps et la voix seront nos seuls outils pour faire naître au plateau la comédie.
L’urgence devra enfin se marier à un autre objectif qui est notre signature : nous devrons mettre sur pied en peu de temps un objet de théâtre dont la clarté du récit est primordiale. Dans un théâtre qui se veut populaire c’est la fable qui guide le spectateur, elle est le premier souci de l’acteur qui cherche à établir un rapport direct au public. Nous tenterons donc ensemble le pari impossible de « monter » une pièce en à peine une semaine. L’autre particularité de notre proposition fait appel à l’autonomie et à la capacité de dédoublement des stagiaires, qui entreront en dialogue avec deux metteurs en scène – l’un du Tartuffe et l’autre de Dom Juan – et devront penser et mettre en œuvre le passage d’une esthétique à l’autre, d’une langue à l’autre, d’une « politique du jeu » à l’autre.
Avec ce parcours thématique autour de la domination, nous explorerons les limites de la liberté de l’artiste à dire les grandes menaces qui pèsent sur son époque.